Encore une demande de coaching faite par un manager qui doit gérer un collaborateur dont le comportement, depuis des années, n’est pas conforme à ce qui est attendu de lui.
Encore un manager qui se voit contraint de consacrer beaucoup de temps pour gérer cette personne : gérer les multiples sollicitations – plaintes – accusations… ; gérer les dossiers laissés en souffrance, mal traités ; gérer la surcharge sur les autres personnes de l’équipe ; gérer le rejet de son autorité.
Encore un manager, nouvellement nommé, qui s’entend dire par la DRH et par sa hiérarchie « C’est ton affaire. A toi de traiter maintenant. »
Encore un manager, brillant, qui se questionne sur sa compétence et sa légitimité managériales.
Le manager, cadre supérieur, c’est Claude[1]. Engagé, performant et humain, Claude vient de se voir confier la responsabilité d’un département nouvellement créé, qui doit mener à bien un projet stratégique pour son entreprise. Héritage de l’organisation précédente de l’entreprise, Claude a dans son département, Dominique, un personnel expert du sujet, de niveau manager, sans rôle managérial. Dominique refuse toutes directives, celles de Claude comme celles de ses prédécesseurs. Ce refus se manifeste diversement :
- Envoi de méls très longs, mélange de faits et d’interprétations, adressés à Claude avec copie à toute la ligne hiérarchique ainsi qu’à des pairs, exigeant des explications, critiquant des demandes… ;
- En réunion, adoption d’une attitude en retrait de victime, voire de sabotage, etc. ;
- Refus de réaliser la plupart des tâches inhérentes à sa mission (son poste) en prétextant s’investir dans d’autres sujets, beaucoup plus importants à ses yeux…
Claude se sent contraint de répondre aux méls en veillant à rester factuel, à éviter tout propos polémique. Répondre à un mél est devenu une gymnastique mentale : rédiger un premier brouillon qui recèle toute sa colère – laisser passer du temps – expurger et envoyer.
Claude prend à sa charge une grande partie des tâches dévolues à Dominique, clés pour faire avancer le projet stratégique assigné à son département.
Claude est sous pression, travaille toujours plus, consacre peu de temps aux autres membres de son équipe et doute de sa capacité à réussir. Un piège se referme.
Claude fait le choix d’être accompagné par un coach pour éviter ce piège. C’est une autre histoire…
Le sujet ici c’est que Dominique agit impunément et ce depuis des années.
Stop ! A l’aveuglement, la surdité et le mutisme, sources de destruction.
Ce n’est pas au manager, seul, de gérer ce type de situation et de personne. La responsabilité de l’entreprise est de créer les conditions favorables au travail. Ce qui implique d’oser prendre les décisions difficiles, de trancher plutôt que de dissimuler les dysfonctionnements sous le tapis.
Un collaborateur en plainte – refus – rejet permanent dans son travail nuit à l’ensemble de son service et donc à l’entreprise.
Il importe d’accompagner cette personne à en chercher les causes et de lui demander de remédier à la situation.
- Un positionnement mal compris et/ou mal vécu peut être explicité par la ligne managériale.
- Des modes relationnels maladroits peuvent évoluer. Un coaching est indiqué dans ce cas, sous condition que la personne soit volontaire et s’engage pleinement dans cette démarche.
- Des blessures intimes affectent la construction émotionnelle de la personne. L’évolution requiert un travail thérapeutique, éminemment personnel.
L’entreprise ne peut rien dans cette dernière hypothèse pour faire changer la personne. Elle se doit en revanche absolument de l’empêcher de continuer à nuire.
Le manager n’a pas à consacrer son temps, son énergie, voire sa santé à limiter les dégâts causés par une seule personne. A la question « combien de votre temps managérial consacrez-vous à ce personnel ? », la réponse oscille fréquemment « entre 80 et 100 % ». « Comment faites-vous pour les autres membres de votre équipe ? ». « Avec eux ça va très bien, donc pas besoin ». La zone de danger s’étend. Tout collaborateur a besoin d’un retour de sa hiérarchie, notamment sur et quand cela va bien. C’est rassurant et valorisant : reconnaissance de la personne dans ses actions de collaborateur. Le risque d’omettre ce temps ? Le désengagement, la démotivation, la multiplication des comportements négatifs. L’image : un enfant en mal d’attention a tendance à multiplier les bêtises pour attire cette attention plutôt que de rester sage.
Ce n’est pas au manager de prendre en charge les dossiers à la place du collaborateur au comportement inapproprié. Bien sûr, il y a des échéances, des enjeux. Plus le manager est engagé dans le succès de sa mission et de son équipe, plus il prend sur lui. Sauf qu’en faisant à la place de, il encombre son temps productif de tâches qui ne lui incombent pas. Il manque de temps pour prendre du recul, pour réfléchir en stratège, pour réaliser les actes managériaux. Il se met en péril dans son rôle. Et il s’ajoute une charge de travail (heures) et mentale (stress) qui met en danger son écologie à court – moyen terme. En plus, il envoie malgré lui un message aux autres membres de l’équipe quant à l’importance (ou pas) de réaliser leur travail. Pallier exceptionnellement un manque et s’entraider oui. Faire pour le compte d’une personne experte dans la « technique du singe[2] », non.
Les collègues de la personne n’ont pas à subir la pression des plaintes, des propos pernicieux, de l’énergie négative, ni du comportement manipulateur (« Joignez-vous à moi dans la critique du chef. Voyez comme il est injuste, comme mon travail n’est pas reconnu, d’ailleurs le vôtre non plus, etc. »[3]).
Les collègues de la personne ont besoin d’un espace et d’un temps de travail aussi sécurisant, émotionnellement parlant, que possible dans un environnement flou et changeant. Plus l’extérieur bouge, plus l’organisation est en ajustement permanent, plus la qualité des relations dans l’équipe est essentielle.
Le manager a besoin d’être et de se sentir soutenu par sa hiérarchie et par son entreprise. Il a besoin lui aussi que son manager lui consacre du temps, l’écoute, accueille ses questions comme ses doutes, lui donne des retours qui le font progresser. Le management est un art exigeant. Il repose sur des individus, sur leurs relations. Il installe la confiance et repose sur elle. Qu’une personne ait des interactions négatives répétées et l’édifice est ébranlé, la confiance abîmée.
Stop ! Au manque de courage, à l’implicite, à la politique de l’autruche
Les états de crise larvée sapent le moral de tous et pénalisent la performance individuelle et collective. Ils font fuir les meilleurs et démotivent complètement ceux qui restent.
Puisqu’il y a un état de crise, autant aller au bout et crever l’abcès. Autant avoir le courage de révéler la crise au grand jour. Parce qu’une crise est le moment de nouvelles opportunités. Il s’agit de passer au crible la situation dans toutes ses composantes, de porter un regard critique (au sens premier du mot) pour trier et décider.
- Ce qui doit partir : faire le choix de se séparer de ce qui n’a plus lieu d’être (fonctionnement, organisation, processus, personne) ;
- Ce qui doit être renforcé parce que précieux pour l’entreprise : confier plus de responsabilités, donner plus d’autonomie à tel collaborateur engagé et prometteur, ritualiser telle pratique qui démontre son impact positif, reconnaître la qualité du travail… ;
- Ce qui doit être créé : faire advenir ce qui est profitable pour l’entreprise, le service, l’équipe, les collaborateurs en s’appuyant sur la puissance de créativité et d’innovation de personnels engagés.
Une crise peut être vue comme un carrefour
Ce n’est pas en tournant autour du giratoire qu’on avance même si le compteur affiche toujours plus de kilomètres. C’est en s’engageant résolument dans une direction.
Il s’agit de sortir de la situation larvée qui engendre colère et frustration, consomme de l’énergie. En la révélant. C’est-à-dire en la nommant. Cela fait sortir au grand jour les émotions refoulées, comme une catharsis et donne une énergie nouvelle, celle de la construction. Une dynamique fertile.
Claude a fait le choix de consacrer près de 80 % de son temps managérial aux autres membres de son équipe : reconnaître leur travail, les aider à gagner en compétence (notamment dans le domaine d’expertise de Dominique) et en autonomie.
Dans les 20 % consacrés à Dominique, le contenu des méls rédigés par Claude a évolué pour expliciter les enjeux, les objectifs et les indicateurs de résultat. Plutôt que d’être en réponse (réaction) aux multiples écrits de Dominique, Claude prend l’initiative de formuler ses attentes. Du coup, les écarts entre ce qui est attendu et ce qui est réalisé sont de plus en plus visibles et mesurables. Et la DRH s’intéresse enfin au sujet. Dans les réunions, l’attitude de critique permanente de Dominique est utilisée en sollicitant sa perception de ce qui pourrait ne pas fonctionner. S’il répond, il est dans le jeu. S’il ne dit rien, c’est comme s’il était d’accord avec les propositions. C’est ce que note le compte-rendu. Dominique est de moins en moins un expert…
Claude s’appuie sur les autres membres de l’équipe pour élaborer, ensemble, les grandes lignes des dossiers que Dominique ne traite pas, prenant soin de les former, de les valoriser auprès de sa hiérarchie. Même si le temps que lui accorde celle-ci n’a pas encore évolué.
La situation n’est idéale ni pour Claude ni pour l’équipe. Mais la quantité de relation (80 %) augmente aussi la qualité des échanges. Le climat s’allège un peu.
Claude attend l’action décisive de la DRH et de sa hiérarchie.
Quelle équipe, quel manager, quelle entreprise n’a pas besoin de sortir d’une situation de crise larvée ? N’en a pas envie ?
Une décision à prendre.
Le courage d’oser…
[1] Les prénoms ont été changés
[2] Il s’agit pour un collaborateur du fait de transférer à une autre personne, en particulier son supérieur hiérarchique, les tâches qu’il doit réaliser lui dans le cadre de sa fonction.
[3] A ce jour, le pire entendu en ce domaine a été énoncé froidement par la personne « nuisible » d’une équipe. « Nous [elle et ses collègues, plus ou moins consentants et solidaires] avons déjà réussi à faire dégager les 4 précédents directeurs. Nous allons y arriver cette fois aussi ! ». Ces propos ont été tenus devant toute l’équipe, le directeur concerné et le tiers externe. Là, l’entreprise a agi pour que le comportement cesse.